Qu'est ce que le contact improvisation?

"Le contact  improvisation (CI)pourrait se définir comme une danse-sport qui naît de l'écoute et du contact  physique entre deux ou plusieurs partenaires; un jeu d'exploration gestuel et sensoriel qui s'invente à chaque instant, prend les qualités les plus variées, et demande à être vécu et partagé, tel un dialogue.  

Née d'une exploration des forces physiques se jouant entre deux corps en mouvement,  cette pratique peut devenir relativement physique. Elle puise alors sa force dans la finesse de nos perceptions et l'utilisation du momentum

Proche des arts martiaux et des techniques d'éducation somatique, sa pratique régulière enrichit la conscience corporelle,  relâche les tensions inutiles et donne confiance, force et stabilité au corps en mouvement. Elle permet aussi  de redécouvrir le goût du jeu et ouvre à un tout  autre mode de communication." I.Uski

 

L'espace de pratique privilégié du contact improvisation est la jam:

 

La jam est un moment de pratique où les danseurs sont responsables de leur préparations physiques.

Il s'agit d'un espace d'improvisation dans lequel on peut entrer/ sortir, être acteur ou témoin. La danse peut se développer seul, en duo, trio ou en groupe, elle naît des inspirations de chacun.

Des musiciens, plasticiens, comédiens... peuvent se joindre aux danseurs, il s'agit d'un espace d'exploration dans lequel toute forme d'expression est bienvenue.

La jam n'est pas un spectacle, il n'y a pas de spectateurs, tous les participants sont impliqués.

 

Lien article l'Humanité, 30/04/2018 https://www.humanite.fr/danse-place-aux-bougeurs-qui-sexposent-dans-un-musee-654567

Danse. Place aux bougeurs qui s’exposent dans un musée

 

Muriel Steinmetz

 

Lundi, 30 Avril, 2018

 

L'Humanité

 

 

 

Le musée de la Danse de Rennes met à l’honneur la discipline du contact improvisation, inventé par Steve Paxton aux États-Unis dans les années 1970 et qui, depuis, a essaimé de par le monde.

 

Le fascicule de l’exposition sur le contact improvisation, qui a lieu au musée de la Danse de Rennes jusqu’au 5 mai, stipule que les danseurs qui se plient à cette discipline « de l’extérieur ressemblent tantôt à des chiens qui se chamaillent, tantôt à des gens qui font l’amour, la sieste ou de la voltige » (1). Conçu dans les années 1970 aux États-Unis, initié par Steve Paxton (né en 1939), l’un des fondateurs du Judson Danse Theater, le contact improvisation est à l’origine le nom d’un spectacle de cinq jours proposé en 1972 à des étudiants, sur une partition initiale plutôt simple : on va sauter en l’air les uns avec les autres, on ne sait pas si on va se rencontrer mais on va improviser la chute. De cette longue performance est surgie une pratique à cheval entre l’aïkido (art martial japonais), l’acrobatie et la danse.

 

L’exposition s’articule autour de sept gestes illustrant le propos : ne pas faire, peser/porter, tomber, jouer, dire, regarder et toucher. On est accueilli par des vidéos en noir et blanc où on voit des « contacteurs » des années 1970 en train de tester des collisions, accompagner des chutes, développer des touchers inédits du bassin, des côtes, des jambes, du cou, des mollets. « Pour Paxton, nous dit Romain Bigé, commissaire de la manifestation, docteur en philosophie, fou de danse et parfait connaisseur de la pensée de Merleau-Ponty, nous, humains post-industriels, vivons au sein de sociétés dans lesquelles le vocabulaire moteur s’est terriblement appauvri. On marche sur des sols lisses, on tape sur des écrans. Nous sommes en train de ruiner notre rapport tactile à l’environnement et à nos congénères : on ne sait plus toucher ! » Issu du mouvement hippie, Paxton se disait « épuisé par l’érotisation du toucher dans ces années-là ». « Nous oublions, précisait-il, ce qu’il y a de riche dans la simple rencontre tactile, sans but, sans consommation. »

 

L’un des gestes forts du contact improvisation consiste donc en la réactivation du « rouler ». On ne se pelote pas, on roule sur les parties du corps adverse. Toute la surface y passe. Le corps devient une grande main tactile et sensible. Ainsi cette pratique repose-t-elle, avant tout, sur une sorte de raffinement sensoriel intérieur, antispectaculaire, riche de micro-événements.

 

Depuis les années 1970, le contact improvisation rassemble une vraie communauté de bougeurs. Elle a essaimé sur les cinq continents en donnant naissance à une microculture chorégraphique. On se réunit dans des espaces de jam semblables aux jam sessions du jazz. L’exposition permet donc de retraverser cette aventure tactile et pondérale, et de voir in situ des corps d’amateurs et de professionnels en pleine action. Un genre de musée des gestes intérieurs est proposé en fin de parcours, dans la grande salle avec parquet au sol, ouverte sur le jardin.

 

Le point de contact, fenêtre vers l’autre et miroir de soi

 

Les cessions durent entre trois et huit heures ! Elles sont sous la conduite de la danseuse Nancy Stark Smith, ancienne gymnaste, volleyeuse et poétesse, formée par Steve Paxton lorsqu’elle avait 18 ans. Cela fait six heures qu’ils expérimentent. Beaucoup de corps sont au sol. « À ce stade, remarque Romain Bigé, on explore les états de fatigue et des barrières tombent car, au vrai, nous sommes tous aliénés par notre corps. » Sous nos yeux, hommes et femmes en pantalon large éprouvent physiquement le fait de ne jamais se décoller. Le point de contact (bassin, cuisse, bras, cou et tant d’autres recoins) est à la fois une fenêtre vers l’autre et un miroir, qui en révèlent autant sur soi que sur l’autre, en effet.

 

« Rien de mieux pour se soigner que d’activer toutes les directions du corps, de devenir accessible à 360 degrés, on sort de là lessivé, bien huilé, l’anatomie en son entier a été sollicitée », conclut Romain Bigé.

 

Steve Paxton vit aujourd’hui en vieil anar au sein d’une communauté d’artistes dans sa ferme au nord du Vermont. Il reçoit beaucoup de bougeurs. Il n’a jamais voulu protéger son « invention » par un copyright. Le contact improvisation demeure libre de droits.

 

Réflexion autour du contact improvisation

Steve Paxton:

"Un aspect important du Contact Improvisation est le plaisir du mouvement, et le plaisir de danser avec quelqu'un d'une manière très spontannée. Cela se déroule dans un cadre qui place le corps au centre, dans toute sa variété, de là l'esprit peut s'exprimer. Et de là la danse se raffine au fur et à mesure que des relations plus précises avec les forces physiques s'établissent, que les corps apprennent à relâcher la tension excessive, à abondonner une certaine qualité de volonté pour faire l'expérience du flux naturel du mouvement. Dans le duo émergent deux corps qui agissent comme un seul corps mis en mouvement par les forces physiques, et des êtres humains, qui se rencontrent dans leur vitalité, leurs différences pour improviser, pas seulement partageant la danse, mais la créant."

Extrait de Fall after Newton  (vidéo d'archive)

 

Steve Paxton

"Associable à des formes familières de duos: l'accolade, la lutte, les arts martiaux ou le jitterbug, le contact improvisation peut aller de l'immobilité à des performances hautement athlétiques. La forme exige des danseurs qu'ils soient détendus, alertes, en état d'éveil constant, et qu'ils portent attention à la fluidité naturelle du mouvement. En contact les uns avec les autres, ils se mettent en état créativité et de support mutuel, méditant les lois physiques relatives à leur masse: gravité, momentum, inertie et friction. Ils ne visent pas à des résultats spécifiques mais à s'adapter au caractère changeant de la réalité physique par la posture et l'énergie appropriée."

Un peu d'histoire...

Le contact improvisation est né aux Etats-Unis dans les années 70.

Steve Paxton a initié cette pratique et a joué un rôle important dans son évolution. Il fait parti des danseurs post-modern américains qui ont cherché a explorer la danse sous toutes ses formes et à remettre en question les codes existant.

 

Sa problématique touche plus particulièrement la relation entre les danseurs: "Que se passe t'il lorsque les partenaires échangent leur poids, soulèvent, portent, se confrontent, se laissent tomber ou s'abandonnent à la pesanteur", ce questionnement donne lieu en janvier 1972 à une performance "Magnesium" au Oberlin College aprés un travail en résidence avec un groupe de huit étudiants. Cette date symbolise la naissance du contact improvisation. Pendant 10 min, les danseurs vont s'élancer au sol, les uns contre les autres, s'attraper, se percuter, se porter, et terminer debout, immobile en silence.

Cette première exploration suscite un vif intérêt, elle sera prolongée avec Steve et d'autres danseurs, étudiants, gymnastes. Nancy Stark Smith, Daniel Lepkoff, Andrew Harwood entre autre font partis de cette dynamique initiale.

 

La recherche du contact improvisation travaille sur le duo, autour des réflexes, de la capacités du corps à trouver des chemins pour "se sauver" quel que soit le contexte. Les danseurs se familiarisent avec la chute, la recherche d'appui au sol et sur le partenaire. Ils communiquent par le toucher avec pour règle de base de ne pas utiliser les mains pour entrer en contact.

 

La présentation du contact improvisation va prendre la forme de "concerts", d'une durée de une heure à six heures, les danseurs explorent la forme avec le regard extérieurs du publics.

Le but n'est pas divertir le public ou de créer un évènement spectaculaire mais de rentrer dans l'exploration collective: "You come, we'll show you what we do" ("Venez, on vous montrera ce que l'on fait") en 1975 illustre par cette dénomination cet état d'esprit.

Le concert peut être tout à la fois captivant, ennuyant où épuisant à regarder, les spectateurs sont la plupart du temps invité à passer et non à rester toute la durée de la présentation.

 

La spécificité de ce mouvement vient du fait que les fondateurs ont fait le choix de ne pas figer la définition et la formation des enseignants. Ils ont pris la décision de ne pas labeliser le contact improvisation ou de créer une école.

Pour faire circuler les informations dans le réseau, ils ont crées en 1975 une revue pour véhiculer des idées, échanger sur les pratiques: le "Contact Newsletter", qui deviendra le "Contact Quartely, a vehicule for moving ideas". (Cette revue est toujours active et présente.)

 

Le contact improvisation arrive en France en 1978, date à laquelle Steve Paxton et Lisa Nelson viennent donner un stage qui suscite de l'engouement. Un groupe de danseurs français s'emparent de la forme et continuent à pratiquer et à organiser des stages avec les précurseurs américains, dont Nancy Stark Smith .

Une première association est créée en 1980 "Danse Contact Improvisation" pour enseigner et transmettre la pratique. Elle rencontre un public d'amateur pendant plusieurs années mais l'engagement s'étiole dés 1983 et l'association est dissoute en 1984. Dans ce premier courant, on peut citer les noms de Didier Silhol, Mark Tompkins, Suzanne Cotto...

A cette période, selon Suzanne Cotto, la danse contact n’intéressait pas vraiment le milieu de la danse" le toucher, le corps à corps étaient mal vus, catalogués plutôt dans le n'importe quoi que dans une réelle rechercher".

Malgré tout, le contact improvisation influence l'évolution de la danse contemporaine qui va utiliser des matières pour les fixer et les chorégraphier.

 

Après ce creux des années 80, le contact improvisation retrouve un essor important depuis les années 2000 avec un nombre de pratiquants qui s'accroît. La plupart des grandes villes voient des cours hebdomadaires, des jams et des stages s'organiser. L'enseignement se diffuse et le nombre de pratiquants semble exponentiel. Depuis 2010, le premier festival international a vu le jour à Grenoble.

En 2005, un yahoo groupe a été créé pour diffuser l'information sur le territoire et en Europe. La dynamique des stages, jams et festivals est importante. Beaucoup de "contacteurs" circulent d'une ville à l'autre pour partager, créer et redécouvrir la pratique.

 

La transmission est assurée par des enseignants qui ont eux même reçu le savoir par d'autres enseignants. La reconnaissance se fait au sein du réseau avec les pairs. Il existe des rassemblements d'enseignants où l'objectif est d'échanger sur les pratiques de transmission et sur l'évolution du contact improvisation.

A l'échelle des enseignants européens, le rendez-vous se nomme ECITE, la rencontre est organisée environ tous les deux ans et prise en charge par un pays différent à chaque édition.

 

Le contact improvisation de part son histoire et sa culture est un mouvement singulier. Cette pratique évolue et se nourrie de nombreuses autres pratiques et notamment les pratiques somatiques.

 

Marjorie Gouzy

Sources:

"Contact Improvisation" de Nouvelle de Danse 1999, texte de Sally Banes 

"Le Contact Improvisation, dialoguer par les toucher" Entretiens croisés recueillis par Christiane Dampne 2008